La science des rêves
Le déjà très bon Nolan pousse dans ses retranchements son style noir dans un thriller paranormal où le rêve ronge la réalité. Une claque totale, sans temps mort, une œuvre froide et parfaite.
Le rêve exploré au cinéma se passe souvent à sens unique. Le conscient vient influer sur le subconscient. L'exemple le plus frappant s'appelle la Science des rêves. A l'image du film de Gondry, le sujet passionne mais l'endormissement peut aussi jouer en sens inverse, à savoir que le rêve vienne perturber le réel jusqu'à flouter les frontière sentre ses mondes. Par définition, le subconscient se résume à une passerelle entre conscience et inconscience. Dark City voire Matrix à leurs manières suggéraient la même chose. Mais étonnement, le film qui illustrerai le mieux l'influence du rêve sur le réel serait Freddy les griffes de la nuit, où quand il vous tuait en rêve, il vous trucidait pour de bon. Inception part un peu du même principe.
A savoir Dom Cobb, alias Leonardo DiCaprio, qui s'introduit dans les rêves d'autrui afin de lui soutirer des informations. L'histoire se présente comme un banal thriller d'espionnage alors qu'il est bien plus que ça. D'abord parce que les ramifications habituelles laissent plutôt place à des strates, des niveaux. Nolan part de ce qu'on sait des rêves, ce qu'on en ressent, et le transforme en données scientifiques. Par exemple, pour se réveiller de leur endormissement artificiel, les protagonistes doivent se sentir tomber. Une sensation désagréable que chacun a connu un jour où l'autre. Les perturbations extérieures parviennent aussi à modifier le rêve. Dès le début, on voit un DiCaprio plongé dans une baignoire (quel plan !) pendant qu'il dort. Son sommeil s'en retrouve changé et une inondation monstre brise le décor onirique.
Sous influence
Car bien plus qu'un décor, l'environnement fait partie du film. Ellen Page, en architecte des rêves, nous sert de guide dans un monde bien étrange. Les jeux du conscient et du subconscient s'interpénètrent avec une maestria jusque là rarement atteinte. Par son audace, on pense au coup de poing phénoménal de Fight Club. Si les deux films n'ont rien à voir, on retrouve deux grands noms du cinéma qui s'adonnent à de la mise en scène stylisées, soignée et ambitieuse. Jamais un moment pour souffler dans Inception. La musique de Hans Zimmer ne lâche pas d'une semelle les 2h30 de film. Le plus incroyable, c'est que ça marche.
Le film est d'une précision chirurgicale, froid comme le marbre, aussi envoutant que lui. Pas le tire-larme trop souvent vu, pas de fiancée potiche, pas de calibrage calculé entre temps fort et temps faible, les canons hollywodiens explosent en vol. Un suspense intense rend moite les mains du spectateur. Normal tant le film explore ce que même Big Brother n'arrive pas à complétement maitriser. Si les dictatures manipulent les êtres par une propagande quotidienne, les hommes de Cobb vont encore plus loin dans le totalitarisme de la pensée. A n'en pas douter, il faut aussi voir en Nolan un vecteur d'avertissement fantasmé. Et si on venait jusqu'à manipuler votre inconscient ? Ces corps inertes, à l'abandon, comme les astronautes dans Alien ou 2001, jouent leur vie dans un monde crée par l'esprit d'un autre. Sujet glaçant dont l'enjeu véritable se formalise à travers le destin de Tom Cobb.
DiCaprio superstar
Un personnage aussi tourmenté que le héros de Shutter Island. Leonardo DiCaprio continue de couler le Titanic qui le suit de loin. La toute première image le montre sur une plage, évanoui, les vagues s'échouant sur lui. Comme dans le film de Scorsese, on retrouve ses yeux inquiets et vifs. A se demander où en est l'équilibre mental de Leo tant ses personnages fracassés (Aviator, La Plage, Les Noces Rebelles) incarnent peut-être un exorcisme qui semble se terminer. Car si dans ses précédents rôles, les personnages de Leo finissent souvent mal, on sent très vite qu'il y a un échappatoire possible pour Tom Cobb. On ne révèlera pas si ce sentiment se confirme mais Leo joue un maitre du jeu, un homme capable de choisir sa destinée. L'acteur explose vraiment tout sur son passage. Il incarne le post Actors Studio. Ill a hérité de la rigueur et la carrure sans forcément changer de peau à chaque fois. Les convulsions du cerveau aussi bien devant que derrière l'écran font penser que la bande de magiciens des rêves renvoie aux plus beaux moments de Verhoeven ou de McTiernan.
Christopher Nolan, à l'instar d'un Michael Mann dans son domaine, prouve son habilité à utiliser au mieux les moyens que lui offre la ville du cinéma. Le gros budget permet un travail sur les effets spéciaux ahurissant. Un apport visuel qui résistera au temps puisque même une fois les techniques dépassées, on se dira que de toute façon, tout ça ne symbolise qu'un rêve. Nolan tire le meilleur parti de son casting cinq étoiles. Outre le protégé de Martin S., Ellen Page rayonne, Joseph Gordon-Levitt aussi. Tous deux se retrouvent aux antipodes de leurs prestations dans les gentils films pour ados (Juno, 500 jours ensemble). Quelques valeurs sûres épaulent l'équipe : un petit passage rapide de Michael Caine, les très bons Ken Watanabe et Tom Hardy ; et surtout Marion Cotillard. Fini les petits gémissements nasillards de l'actrice oscarisée, la voilà dans un rôle dont on ne peut rien dire mais qui est des plus déroutants. Bien vu Marion !
A tous les niveaux, Inception impressionne. Plus proche finalement du film d'action sur fond de thriller que de la SF, son pendant surréaliste s'ancre néanmoins dans un monde bien réel. Nolan arrive au bout d'un cycle. Jamais il n'est allé aussi loin. Sans jamais lâcher son style ni son univers, il façonne à sa manière une architecture ambitieuse du cinéma contemporain à grand coup de moyens immenses dont il se sert pour donner un style incomparable. Après le monde post-11 septembre de Dark Knight, personne n'aurait pu imaginer qu'il aille encore plus loin. La légende est en marche ?
Sortie le 21 juillet
Inception, de Christopher Nolan, avec Leonardo DiCaprio, Marion Cotillard, Ellen Page (U.S.A., Brit., 2h28, 2010)
La bande-annonce de Inception ci-dessous :